Un voyage dans le temps où, tous les sens en éveil, on tente de graver dans sa mémoire un concentré d’émotions tout en savourant ce moment furtif d’émerveillement.
Un voyage dans le temps où, tous les sens en éveil, on tente de graver dans sa mémoire un concentré d’émotions tout en savourant ce moment furtif d’émerveillement.
En juin dernier, 20 millésimes de Cos d’Estournel ont été soigneusement sélectionnés pour une dégustation verticale avec le célèbre dégustateur Neal Martin, accompagné par Michel Reybier et Dominique Arangoïts, Directeur Technique. Emblématiques, les vins ont été choisis entre 1928 et 1996 pour leur capacité à émouvoir, ou remarquables dans leur manière de retracer l’histoire de la propriété et les aléas inhérents au vignoble. On retrouve par exemple des millésimes légendaires mais aussi des vins dont l’année a été marquée par un gel ou une canicule. Les stocks de vieux millésimes étant limités, il est rarissime de pouvoir les déguster.
On est tout de suite frappé par l’immense capacité de vieillissement des vins de Cos d’Estournel. Pas un vin dégusté n’a moins de 20 ans, le plus vieux en a pratiquement 90 et tous ont traversé les décennies pour devenir éternels et procurer des émotions éblouissantes. C’est une véritable leçon d’humilité et de respect pour des hommes qui ont œuvré avec des moyens techniques réduits et dans des contextes souvent difficiles. C’est aussi l’occasion de souligner les qualités incroyables d’un terroir hors du commun, un des rares à offrir des vins capables de délivrer des émotions exceptionnelles à travers le temps.
Déguster un panel aussi large de millésimes permet de dresser un panorama inédit des vins de Cos d’Estournel, propice aux comparaisons et suscitant parfois des surprises. On note ainsi souvent des « chocs de style » entre 2 millésimes proches, avec des vins très différents, le second surpassant l’autre contrairement à nos a priori (1928/29, 1947/49, 1959/61). Cela montre aussi que ce terroir peut surprendre en sur-réagissant à certains éléments du climat pour donner des styles de vin marqués et parfois assez différents.
Mieux connaître cet héritage pour s’améliorer sans cesse et anticiper l’avenir, telle est l’ambition de Michel Reybier. Poursuivant la philosophie visionnaire du fondateur, il inscrit le travail des équipes dans une perspective à long terme. Il ne reste plus alors qu’à prendre date dans 80 ans, quand les futures générations pourront à leur tour goûter à l’immortalité des vins de Cos d’Estournel que nous leur léguons aujourd’hui.
Les années 90 débutent ce panorama inédit des vins de Cos d’Estournel, avec les millésimes les plus récents de la verticale. A plus de 20 ans, ce sont pourtant des vins relativement jeunes au regard de l’exceptionnelle longévité des millésimes dégustés.
Le millésime 1991 signe une des bonnes surprises de la dégustation. Ici, la maturation complète des Merlot et Cabernet se traduit aujourd’hui par un vin fin, marqué par des tanins veloutés et une concentration surprenante.
Issu d’un été très chaud et sec (le plus chaud après 1900 et 1945), Cos d’Estournel 1995 est un vin exceptionnellement riche et frais, d’une grande complexité. Toujours marqué par sa longueur et sa persistance sur les notes d’épices, il exprime parfaitement les caractéristiques des grands Cos d’Estournel.
Plus récent millésime de cette dégustation, 1996 est l’année d’un mois de juin plus chaud que la moyenne et de conditions de maturation exceptionnelles à partir de fin août. Le vin est marqué par la fraîcheur du Cabernet-Sauvignon, complété par des Merlot veloutés. Le bouquet de vieillissement avec ses notes de graphite, tourbe et tabac est très intense et signe un vin qui approche de son apogée. Il s’apprécie dès aujourd’hui pour savourer le plaisir lié à sa jeunesse tout en percevant l’amorce de notes de vieillissement.
La trilogie en or du vignoble bordelais conclut une décennie et en ouvre une nouvelle de façon éclatante.
Plus long et complexe qu’attendu, le millésime 1988 représente une des belles surprises de la verticale. Le nez intense, frais et fruité évolue sur des notes chaudes, découvrant une belle maturité. A la dégustation, la bouche fraiche et sapide est une réelle révélation, pour un vin d’une magnifique longueur.
Figure emblématique des ces 3 années, Cos d’Estournel 1989 a traversé les années pour être aujourd’hui encore un vin époustouflant. Vendangé dans des conditions idéales, il livre des nuances savoureuses, entre complexité, fraicheur et énergie.
Vin séducteur, le millésime 1990 présente quant à lui de belles caractéristiques, entre grande longueur et complexité d’arômes épicés. Comparativement à 1989 et son vin exubérant et extrême, il révèle une grande fraicheur. Cette succession de millésimes aux caractéristiques si opposées se retrouve également entre les 1928 et 1929, signant un véritable « choc de style ». On voudrait avoir l’opportunité de les déguster encore dans 50 ou 60 ans pour juger de la permanence de cette différenciation et apprécier pleinement leur longévité.
A partir des années 80, les pratiques viticoles ont pris un tour résolument nouveau, avec une approche adaptée à chaque parcelle.
Alors qu’il avait été jugé à l’origine comme un vin à boire rapidement, Cos d’Estournel 1982 se révèle encore bien vivant et marque toujours les esprits. Issu d’une année en tout point parfaite, c’est un millésime précoce, marqué par la quantité de la récolte autant que la longévité des vins. Avec un nez fruité, net et frais, et une bouche ronde et opulente, il séduit par son élégance et sa remarquable vivacité. Longtemps resté sur la réserve, il a atteint son apogée et fait partie des très grands vins à savourer pleinement aujourd’hui.
Avec un nez un peu plus vibrant que le vin précédent, le millésime 1985 rappelle la fraicheur typique du Cabernet Sauvignon, avec aussi des épices légères. Soyeux et très précis, il laisse une impression chaleureuse. C’est un vin enchanteur, tout en vivacité, dont la dégustation apporte un réel plaisir.
Dans cette décennie, 1986 est l’année d’un été très sec marqué par de parfaites conditions de vendanges. Intense et minéral, c’est un vin d’une belle longueur.
Les années 70 marquent à Bordeaux les débuts d’une vinification moderne, réellement contrôlée. C’est un véritable tournant dans les méthodes employées dans l’ensemble du vignoble bordelais.
Cos d’Estournel 1971 est la bonne surprise de cette décennie, avec un vin caractérisant le style de son terroir. Sa robe se distingue des plus anciens millésimes dégustés avec une couleur plus intense. Un nez frais, une bouche ronde et fruitée pour finir sur une longueur intense en font un grand millésime.
Très tardive, la vendange 1975 avait marqué les esprits par un « miracle d’automne », avec un mois d’octobre exceptionnel. Aujourd’hui, avec son aromatique évoluée, le vin se déguste bien sans toutefois offrir de grands sentiments.
Le millésime 1976 est celui d’une canicule qui reste dans les mémoires. Fruité et complexe, d’une belle élégance, le vin surprend agréablement, pour constituer une heureuse découverte.
Avec ces vins, les dégustateurs se sont trouvé face à 2 millésimes rapprochés et pourtant bien différents. On peut parler, comme pour 1928/29 ou 1947/49, d’un véritable « choc de style ». Tout se passe comme si, avec un ou deux ans d’écart, l’homme réagissait au millésime précédent en s’ajustant pour exprimer au mieux le terroir.
Cos d’Estournel 1959, avec son nez intense, très solaire et épicé et sa bouche complexe et ronde, signe un très grand vin. A la fois frais et minéral, son intensité est remarquable.
Quant à lui, le millésime 1961 surprend et apparaît comme une révélation. Le nez frais, complexe, se combine avec une bouche veloutée, tendue et élégante, pour finir sur une longueur incroyable. Tout est réuni pour offrir un vin racé, tout en finesse et élégance : un immense Cos d’Estournel, capable de procurer de grandes émotions.
Pour cette trilogie élaborée après guerre, dans un contexte sociétal troublé, les hommes ont su exprimer toutes les qualités du terroir de Cos d’Estournel. Une photo aérienne issue des archives montre que les parcelles plantées de vignes étaient concentrées sur des terroirs adaptés au Merlot. On suppose donc que c’est le cépage dominant pour cette période.
Mythique à Bordeaux, le millésime 1947 s’apparente au 2009, magnifique lui aussi. Si le nez nécessite un peu de temps pour s’ouvrir, il est dense et élégant. La bouche se révèle ronde et fruitée, tout en élégance et complexité. C’est un vin remarquable qui semble toutefois avoir atteint son apogée, 70 ans après son élaboration.
Cos d’Estournel 1948 présente un nez discret d’une belle complexité, pour un vin très fruité, long et opulent.
A l’encontre des idées reçues, c’est le millésime 1949 qui apparaît comme la belle et unanime surprise, pour être considéré comme l’un des très grands vins de la verticale, passant même au dessus du légendaire 1947. Cette différenciation peut étonner et se retrouve dans la verticale avec d’autres millésimes proches (1928/29 ou 1959/61). Le nez discret, avec des notes mentholées et poivrées, la bouche fraiche et vivante lui offrent ce caractère immortel, apte à éblouir après toutes ces années. Son équilibre parfait, élégant et intense procure une grande émotion, pour un magnifique Cos d’Estournel.
Les millésimes 1928 et 1929, les plus anciens de la dégustation, en sont aussi les vrais coups de cœur, avec des vins très fins et complexes, d’une épatante délicatesse.
Comme le 1933, ils ont déstabilisé les dégustateurs, peu habitués à ce type d’arômes et manquant de référentiels pour les juger. Il est important de se rappeler les conditions économiques difficiles de cette période pour les apprécier davantage. C’est une réelle émotion de découvrir des vins qui ont traversé les décennies pour nous arriver aujourd’hui, devenus immortels.
Le millésime 1928 est généralement reconnu comme exceptionnel par les professionnels. A Cos d’Estournel, il est d’un beau tuilé et le nez discret est cependant long et complexe. La dégustation révèle un vin riche et charnu, aux notes épicées et d’une longueur intense. Quelle leçon d’humilité et quelle émotion devant un vin élaboré il y a près de 90 ans et qui nous apparaît encore dans toute sa puissance !
Malgré tout la réelle surprise vient de Cos d’Estournel 1929, qui se montre bien différent et encore plus éblouissant que le précédent. D’une finesse exceptionnelle, il ressort comme le favori de la verticale. C’est dire ses immenses qualités ! Avec son nez intense et frais à la fois, d’une grande élégance épicée, avec sa bouche nette et complexe pour finir en douceur et sa longueur intense, il fait l’unanimité. Comme on pourra le constater avec d’autres millésimes (1947/49 ou 1959/61), il semblerait que l’homme qui l’a élaboré a su tirer les leçons de 1928 pour créer un vin encore meilleur, magnifiant le terroir.
Quant au millésime 1933, sa couleur est plus sombre et son nez un peu cuit, avec des notes de griottes mais aussi de truffe et de tourbe. Très aromatique, il laisse une impression d’élégance fruitée, d’une belle intensité.